Précédemment

Léopoldine Roux

“ Souvenirs de Bruxelles ”

Du 16/12/2022 Au 18/02/2023

Dernière semaine !

À quoi sert une peinture si elle est désarmée ?

Léopoldine Roux, artiste et enseignante à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Gilles, a quelque chose de Mary Poppins, la célèbre nurse anglaise de Walt Disney. Léopoldine ne se déplace certes pas dans les airs suspendue à un parapluie à tête de perroquet. Sa magie est tout autre, juste enfouie dans des fioles colorées de vernis à ongles dont elle a les poches remplies. Et c’est avec parcimonie qu’elle use de ce liquide brillant pour s’immerger dans les décors de cartes postales noir&blanc de Bruxelles, imprimées dans la première moitié du 20ème siècle. Mary Poppins, son aînée, lui avait ouvert la voie en sautant dans un paysage bucolique, dessiné sur le trottoir d’une rue noire et triste de Londres. Qu’importe le moyen, un claquement de doigt ou une multitude de couleurs, pour les deux femmes, c’est un besoin de réenchantement qui les a conduites à une action poétique.

La filiation et la comparaison s’arrêtent là car Léopoldine et son travail artistique ne sont pas une gentille fiction. Ne nous y trompons pas ! L’oeuvre ludique, faussement enfantine de Léopoldine a de réels pouvoirs et peut influer sur nos sentiments en nous donnant à voir et à réfléchir sur une réalité bien cruelle : la perte du beau dans le paysage urbain contemporain de Bruxelles.

Une thématique chère à Olivia Delwart qui, pour l’ouverture de sa galerie saint-gilloise expose le travail de l’artiste afin d’évoquer la question complexe et politique de l’évolution de nos paysages urbains altérés par un urbanisme et une architecture plus soucieux de la rentabilité et du fonctionnalisme que de la durabilité, de l’esthétique et de l’humain. « J’ai été séduite par les cartes postales de Léopoldine car j’y ai vu une oeuvre doucement militante pour laquelle les pinceaux sont les armes d’un changement ». Une posture pacifique qui a plu à la propriétaire de ce nouvel espace culturel, baptisé humblement Chez Olivia. « Je ne souhaite pas ouvrir une galerie d’art classique à Bruxelles mais une boîte à idées qui a pour vocation de remuer les esprits ».

En intervenant sur des cartes postales anciennes à l’aide d’un produit cosmétique destiné à embellir et par le biais de formes géométriques qui masquent les défauts, Léopoldine Roux nous interpelle en surlignant un espace publique disparu qui la fait pourtant rêver et voyager; « j’ai pensé les oeuvres comme une promenade dans un Bruxelles où la magie opère ».

Sans l’ombre d’un doute, Souvenirs de Bruxelles est une exposition à la fois pop et gourmande mais aussi nostalgique et revendicatrice, l’une n’empêchant pas l’autre. Qui, en regardant les cartes postales revisitées par Léopoldine, n’a pas la tentation, soit de les manger, d’ajouter des pompons aux arbres, de buller des têtes ou encore de transformer les fontaines en geysers de crème glacée tutti frutti, soit de bondir pour y retrouver un temps architectural magnifié par le souci du beau, de l’humain et du durable ?

Cela semble drôle mais cela ne l’est pas. La mise en vernis d’une Bruxelles évaporée est l’expression récréative d’une colère qui, confusément, se généralise. En effet, les villes européennes – Bruxelles en tête – se fonctionnalisent, s’uniformisent, se refroidissent et s’amochent. Une dépréciation née après la Seconde Guerre Mondiale et l’avènement d’une société d’hyper consommation que rien ne semble pouvoir arrêter générant un mal-être collectif et le besoin de rembobiner les années pour s’extraire d’un environnement saturé, pollué et déprimant. Une impasse ? Comment arrêter ce désastre urbanistique, écologique et social ? Quelles armes ? Les pinceaux …

Carole Depasse